| odessa | | Membre | | 151 messages postés |
|  Posté le 27-12-2005 à 16:25:50   
| Les travailleurs de Mac Donald découvrent de nouvelles méthodes de lutte des classes
Le marché du travail russe est actuellement entièrement sous la botte des employeurs. Les employeurs ont une autorité énorme, un pouvoir qui n’est limité que par la résistance des ouvriers. Il n’y a pas de syndicat dans chaque entreprise, et même lorsqu’il y en a, c’est le plus souvent un groupe de bureaucrates pour qui la défense des travailleurs est le cadet de leurs soucis. S’il faut faire redécouvrir la solidarité et l’entraide aux travailleurs salariés, les problèmes quotidiens au travail n’ont pas disparus. Les conflits dans les lieux de travail sont partout, et prennent des formes différentes. Les travailleurs de Mac Donald ont choisi un moyen unique pour résister, un moyen original dans la lutte contre les employeurs en Russie. Mais avant d’attaquer le sujet principal de l’article, il faut dire quelques mots sur la multinationale elle-même.
Mac Donald est la plus grande chaîne mondiale de fast-food, selon leur site internet officiel, cette multinationale est présente dans 119 pays. Si en Union Soviétique, on pouvait trouver dans chaque ville et village une statue de Lénine et un parc Gorki, la lettre « M » jaune sur fond rouge est aujourd’hui son équivalent capitaliste. Le président géorgien, Edouard Chervardandzé était présent lors de l’ouverture du premier Mac Donald de Géorgie, ce qui donne une idée des moyens financiers et aussi des rapports avec le pouvoir de cette chaîne. Cette réputation, la compagnie doit la payer : dans chaque manifestation contre la globalisation quelques unes de ses enseignes sont saccagées comme étant des symboles du capitalisme global.
Différentes multinationales qui produisent des marchandises pour des « consommateurs de masse » ont différentes méthodes pour adapter leurs produits au marché local, certaines tentent de les rendre « le plus locaux possible », de les intégrer aux traditions locales. C’est par exemple ce que fait Nestlé en lançant la marque « Rossiya ». Mac Donald utilise par contre une approche complètement opposée : à chaque coin du monde on trouve le même menu, presque les mêmes prix, et le même service. Il existe même un concept, le « taux Mig Mag », depuis que le prix d’un hamburger dans différents pays permet de mesurer les oscillations entre les différentes devises.
Mais Mac Donald doit faire face à de nombreux problèmes, des critiques typiques sur la mauvaise qualité de la nourriture ou la violations des droits des travailleurs, jusqu’à des attaques, en Inde, à l’encontre de restaurants Mac Do, dues à l’exploitation des vaches qui y sont considérées comme des animaux sacrés. En Amérique du Sud, Mac Donald est dénoncé pour son rôle dans la destruction des forêts tropicales. Sur le site officiel de Mac Donald, on peut trouver un slogan qui cherche à attirer de nouveaux travailleurs dans la multinationale : « Nous vous valorisons, nous vous offrons une carrière et vous participez au développement de notre compagnie ». Disons le clairement : cela est faux !
Mac Donald est apparu en Russie il y a une dizaine d’années, au début comme un restaurant cher et luxueux. Mac Donald était alors une nouveauté, le symbole du début des années 90. Le travail y était plus intensif que ce à quoi les « citoyens soviétiques » étaient habitués, mais les salaires n’y étaient pas mauvais, et plusieurs personnes ont sacrifié leurs études pour y travailler. Mais cela n’était valable que jusqu’au « Mardi noir » de 1998. Les salaires ont alors baissé, mais on trouvait encore suffisamment de Russes âgés de 18 à 45 ans qui préféraient un emploi dans l’économie de marché plutôt que de cultiver des pommes de terre dans leur jardin d’un acre. L’intensité du travail chez Mac Donald ne choquait plus les Russes. Aussi, les prix ont commencé à baisser, jusqu’à devenir abordables pour le consommateur moyen. Ces deux facteurs ainsi que l’esprit pionnier de la corporation dés le début des années 90, ont aidé Mac Donald a devenir la première chaîne de fast food en Russie, puis dans les autres pays de la CEI.
Les conditions de travail chez Mac Donald sont dures, tout est basé sur une stricte hiérarchie. La majorité des travailleurs sont des « kruchiks » (mot venant de l’anglais « crew », équipe, et vaguement russifié, « équipiers » en français). Ces « kruchiks » sont contrôlés par une hiérarchie de managers dont le but est de s’assurer que 100% du temps de travail est utilisé au service de la compagnie. Chaque minute du temps de travail d’un « kruchik » est réglée. La majorité des « kruchiks » sont des étudiants, qui ne trouvent pas d’emploi qualifié et qui sont d’accord pour travailler pour un bas salaire (autour de 100€ à Moscou) garanti par la réputation de la multinationale. Généralement, les « kruchiks » ne reste pas très longtemps chez Mac Donald. Les managers sont un peu plus vieux, sortis des rangs des « kruchiks ». Les managers n’ont quasiment plus de temps libre, mais leur travail est plus facile et leurs salaires plus élevés. Et un facteur psychologique important est que lorsque quelqu’un monte à la première branche de l’échelle, il est ensuite plus motivé pour rester dans la compagnie.
Dans un système où les employeurs exploitent au maximum les employés, on ne peut éviter les frictions et les conflits. C’est ainsi qu’en automne 2000 est apparu le site internet http://www.macdonaldz.narod.ru, site réalisé par des travailleurs du Mac Donald de la place Pouchkine. Les réalisateurs de ce site s’appellent eux mêmes « hooligans1», leur activité est de dénuder le squelette de Mac Donald. Le site publie ainsi des informations sur le contenu de la nourriture vendue par la chaîne, tout comme des rapports quotidiens dont les histoires qui suivent sont extraites.
Première histoire :
Parlons d’un sujet important : la santé des travailleurs. Comme toute grande industrie, Mac Donald a ses propres maladies professionnelles. Alors, à quels types de maladies peut s’attendre un employé de Mac Donald ?
Tout d’abord, enflures et fatigues des jambes, qui entraînes des varices. Les travailleurs sont toujours debout, et ne peuvent s’asseoir que pour les pauses (et généralement la pause légale d’une heure n’existe pas et nous n’avons qu’une demi-heure). La seconde maladie, c’est le stress mental, causé par la course perpétuelle contre la montre ; chez certaines personnes il suffit d’une semaine pour en être atteints. Le travail avec des clients, de types différents, est déjà en soi stressant, et en plus nous avons les managers constamment sur le dos, qui nous poussent à une activité continuelle. C’est la raison du fort taux de turnover chez les employés, ce dont se foutent les managers qui restent le cul sur une chaise, alors que nous devons travailler pour deux à chaque fois que quelqu’un quitte la compagnie. La troisième pathologie, ce sont les brûlures, la nourriture est cuite à des températures très hautes (168-218°). Tu peux essayer de toutes les manières, tu n’éviteras pas les brûlures, surtout lorsqu’il s’agit de griller la viande. Les grills sont en effet très bas, et la viande graisseuse glisse facilement des mains, et il est donc facile de toucher accidentellement un grill. Les mesures de sécurité sont proches de zéro. Tout est ouvert, la graisse gicle de partout. Quelques fois il y a des spray, du gel et d’autres médicaments contre les brûlures, mais parfois il n’y en a pas. Ce troisième risque professionnel est très fréquent, mais ce n’est un problème pour personne.
Deuxième histoire :
Chez Mac Donald, il y a des « Mac billet » et un « Mac Magasin ». Environ deux fois par an, les travailleurs qui sont reconnus excellent, ainsi que ceux qui ont gagné des compétitions de vente de certains produits et ceux qui ont bien suivis les ordres et les standards de production, ont le droit à des « Mac billet », des petites coupures d’argent à jouer. Elles ne peuvent être utilisés que chez Mac Donald. Elles sont tamponnées par le restaurant, le code personnel du travailleur y est marqué, et signées du manager qui donne ce billet. La valeur d’un billet est de 10 roubles (30 centimes d’euros).
Puis le manager nous annonce une date joyeuse : « Mac Magasin ». Dans ce magasin, on peut acheter avec cet argent à jouer des souvenirs, comme des stylos, des tasses, et des t-shirts… ou pour le dire plus simplement des marchandises de l’entreprise. A la mi-octobre, nous avions une « semaine italienne », et la direction centrale nous fournit des « Mac lires » au lieu des « Mac billets » habituels, cet argent à jouer était très bien imprimé et le design très inhabituel. A la fin du mois, il y avait « Mac magasin », et le prix des souvenirs furent envoyés comme d’habitude par la direction centrale. Prix d’une tasse, 9 coupons ; un sac 40 coupons ; une montre 8 coupons ; un t-shirt 8 coupons ; un CD 10 coupons ; et une bouteille de coca, 2 coupons. Mais le plus drôle, c’est que les « Mac Lires » avait été données en très faible quantité, un salarié moyen ayant peut-être cinq ou six coupons. Non pas parce qu’ils avaient peu travaillé, mais parce que les conditions pour avoir ces coupons étaient incroyablement strictes. Une fille a couru toute une journée, souriait, répondait à toutes les demandes et avait simplement eu un seul misérable coupon !
Sur le site, vous pouvez lire beaucoup d’autres sketches identiques sur la vie chez Mac Donald. Voilà comment les « hooligans » se définissent eux-mêmes :
« Notre site a été fondé en novembre 2000. Depuis nous avons collecté des informations, écrits des articles, mis en forme le site. En septembre 2001, nous avons enregistré notre site dans les moteurs de recherche internet. Entre 50 et 60 personnes visitent chaque jour notre site, aussi les informations que nous proposons intéressent du monde. Nous avons souvent des retours, assez divers, qui vont de « pourquoi faîtes-vous ça ? » à « merci, je voulais travailler chez Mac Do, mais vous m’avez fait changer d’avis ». Ce Qui est particulièrement intéressant c’est que la moitié de nos visiteurs sont d’anciens ou d’actuels travailleurs de Mac Donald. L’activité principale de notre groupe est de développer l’information sur la réalité de l’attitude de Mac Do vis-à-vis de ses employés. Nous tentons de montrer de vraies histoires, pour que les lecteurs aient une idée de ce qui se passe dans cette boîte. Nous voulons dire aux gens que Mac Do n’a rien de l’image cool que veut se donner la boîte, qu’elle ne respecte ni les droits humains ni le code du travail.
Les « Hooligans » ne sont pas le premier groupe de travailleurs moscovites de Mac Donald en lutte pour leurs droits. Peu avant, il y avait eu un scandale suite à une initiative pour y monter un syndicat. Le management a lancé une campagne de harcèlement contre cette initiative, mais à la fin le syndicat a été reconnu légalement. Le syndicat ne s’est pas organisé dans un restaurant, mais dans une usine qui produit de la nourriture pour la chaîne. Mais aujourd’hui, l’activité de ce petit syndicat a diminué.
Le management du Mac Donald de la place Pouchkine est agacé par ce site et par ses travailleurs insoumis, mais il n’est pas facile de savoir qui sont les éditeurs de ce site. Le restaurant de la Place Pouchkine est un des plus grands du monde, il y a des centaines de salariés. L’activité des Hooligans a-t-elle des résultats ? Peut-être. Sur le site, nous avons une rubrique « progrès », qui parle des réformes qu’il y a eu dans le magasin depuis que le site existe sur internet. Nous supposons qu’une partie de ces améliorations ont été obtenues parce que la direction craignait que la protestation puisse prendre une forme plus sérieuse qu’un simple site internet. Un autre succès des « Hooligans » est du à la stupidité et à l’ignorance des cerveaux de Mac Donald. En Russie, Mac Donald dépense des milliers et des milliers de dollars pour des publicités à la télévision, il finance des immenses affiches dans les rues et le métro, s’engage dans des actions de charité, invite des journalistes à venir manger et jouer au golf. Mais il n’existe aucun site officiel russe de Mac Donald sur internet ! Aussi, quelqu’un qui cherche de l’information sur la multinationale et passe par un moteur de recherche tombe très vite sur le site des « hooligans ». Grâce à cela, de nombreuses personnes ont appris la vérité sur Mac Donald. »
Le succès des « hooligans » a fait des petits, comme le site d’un autre groupe de travailleurs moscovites de Mac Do, http://www.mcdonaldc.narod.ru, ainsi qu’un groupe à Minsk http://www.belmac.narod.ru et http://www,kompaktor.narod.ru. Et contrairement au caractère « apolitique » des Moscovites, les sites de Minsk sont plus clairement marqués à l’extrême gauche.
Pour conclure, il est particulièrement positif que la résistance ouvrière prennent une place chez Mac Donald, ce véritable symbole de « la génération qui a choisi Pepsi ». Il est aussi positif que ces gens ne croient pas dans les syndicats intégrés, mais combattent le système (même si ce n’est que sur les questions de leurs lieux de travail), comptent sur eux-mêmes et leurs amis, et entrent dans un processus de résistance avec beaucoup d’énergie créatrice. Il ne sera pas facile de pousser les « hooligans » dans les rangs de la FNPR2 ou d’un de ces Partis du « Travail ». d’un autre côté, il est décourageant que cette résistance n’existe actuellement que sur internet, sans qu’il soit certain de la transformer en une lutte « off-line ». Et certainement que les « hooligans » anonymes ne sortiront au grand jour que lorsque un mouvement de résistance plus massive pourra être organisé dans la chaîne de fast-foods.
Selon un article de Listev, tiré du magazine Avtononom (Автоном), été 2003.
|
|
